Félix Peaucou

4.Performances des cerfs-volants

Nous nous sommes étendus ici particulièrement sur les cerfs-volants militaires parce que ce sont eux qui ont réalisé les plus beaux exploits; et cela en raison des moyens beaucoup plus considérables qui leur étaient alloués, comme on s’en doute. Mais cela n’a pas empêché que certaines sociétés civiles se firent remarquer par de belles prouesses accomplies parfois avec une belle persévérance et beaucoup de risques. Citons-en quelques unes ; nous reviendrons ensuite aux exploits militaires.

En remontant dans le temps, nous rencontrons les précurseurs tels que le Français Maillot, partisan du grand cerf-volant unique qui, en 1886, avec un appareil de 72 mètres carrés et totalisant un poids de 130 kilos, agrès compris, réussit à enlever cette charge. Peu après, avec un gigantesque cerf-volant octogonal de 210 mètres carrés, il réussit à enlever un poids total de 270 kilos, ce qui était formidable !

L’Anglais Baden-Powel, tout d’abord partisan lui aussi du cerf-volant unique, réussit le 27 juillet 1894 à soulever un jeune passager à plusieurs mètres de hauteur avec un appareil haut de 11 mètres et offrant une surface de 46 m2. Puis, se ralliant au système du train en tandem avec des appareils de dimensions beaucoup plus modestes, il réalisa en 1895 une performance de durée en maintenant de longue heures son train lesté de 57 kilos, à 90 mètres de hauteur. En 1898, il fit une série d’ascensions, toujours avec le même système volant dans laquelle il atteignit jusqu’à 90 mètres d’altitude.

Lawrence Hargrave, un Australien, fut le premier à concevoir un appareil cellulaire rationnel capable de soulever un homme avec sécurité. Son cerf-volant était constitué de deux cellules rectangulaires assez écartées l’une de l’autre et montées en tandem sur le mêmes bambous. Avec ce type de cerf-volant Hargrave tenta des ascensions réelles en composant un train de quatre appareils seulement. Bien que la surface totale n’atteignît que 22 mètres, l’inventeur réussit, par un vent de 10 mètres à la seconde, à se faire enlever à une certaine hauteur. Malgré ce faible attelage, la traction était montée à 154 kilos et le poids total soulevé avait été de 93 kilos, ce qui constituait une magnifique performance ! Hargrave avait réalisé cette ascension simplement assis à cheval sur un siège rudimentaire accroché au filin porteur.

Exploits réalisés au XXe siècle

En ne considérant que les exploits accomplis durant ce siècle-ci, nous trouvons, entre autres, un Américain, Samuel Perkins, qui utilisa un modèle souple à cellules triangulaires et à ailes, type Conyne. Le mode d’attelage était en tandem et c’est à cheval, lui aussi, sur une sellette, qu’ascensionnait Perkins. Le train Conyne fut utilisé par les Américains dans la guerre 1914-1918.

En Angleterre, le plus célèbre cerf-voliste fut le capitaine américain Cody. Cet intrépide officier mit entièrement au point un système d’observatoire aérien captif. Il adopta comme type le cellulaire Hargrave auquel il ajouta des ailes et des ailerons dièdres et des plans verticaux stabilisateurs au centre des cellules. Avec ce système volant, Cody fit réaliser par des officiers anglais les plus belles performances accomplies avec des cerfs-volants. Successivement en 1905, 800 mètres de hauteur; en 1906, 600 et 700 mètres; enfin le record mondial de la hauteur, soit 1 000 mètres, établi par le lieutenant Brook-Smith; record jamais dépassé dans aucun autre pays.

Toujours à cette même époque, les Russes expérimentèrent aussi cet observatoire captif avec succès. Notons le lieutenant Schreiber qui utilisa les cellulaires Hargrave et réussit de belles envolées sur terre et sur mer. A ces ascensions participèrent de nombreux officiers russes, l’attaché naval français de Tuverville et Mme Schreiber elle-même.

Un autre officier russe, le lieutenant Oulianine réalisa également d’intéressantes expériences à l’aide de divers systèmes de cerfs-volants modèles Baden-Powell (plans hexagonaux); cellulaires Hargrave, grandes dimensions; le type américain Conyne. Avec ces différents matériels, il fit des ascensions atteignant de 50 à 200 mètres de haut, parfois accompagné d’un autre officier.

La Norvège eut aussi ses cerfs-volistes convaincus. Mentionnons particulièrement Sem Jacobsen qui réalisa avec un train genre Cody de belles ascensions dont l’une atteignit la hauteur imposante de 600 mètres.

cerfs-volants montés du capitaine Madiot.

Cerfs-volants montés du capitaine Madiot cellules Hargrave auxquelles sont ajoutées des ailes.
Camp de Châlon, 13 avril 1910.

Exploits français

Revenons en France pour signaler les magnifiques spectacles aériens offerts un peu partout par ces si modestes appareils que sont les cerfs-volants. Ils se réalisèrent dans le ciels d’Issy-les-Moulineaux et de Granville ou lors du congrès de Boulogne-sur-Mer. Dans une grande manifestation, pourtant civile - le deuxième meeting de la Champagne: Reims-Bétheny en 1910 - nous voyons concourir deux officiers cerfs-volistes déjà nommés dans ces pages : les capitaines Madiot et Saconney. Deux trains évoluent ensemble et le vainqueur, Saconney, ne dépasse son concurrent, que de cinq minutes seulement de durée en ascension, tenant l’air respectivement, Saconney 42 minutes et Madiot 37 minutes. Avec un train Madiot, au camp de Châlons, le brigadier Truchot s’élève à 300 mètres. Hauteur également atteinte par la Société civile Drago-Club de Meaux.

Carte d’accréditation permanente au concours de Spa

Carte d’accréditation permanente au concours de Spa, au nom de Peaucou. Au dos de la carte, l’accrédité a écrit: “Dans un hangar, rien n’est plus gênant pour ceux qui travaillent que ceux qui les regardent.” Avis aux simples curieux ?.

Exploits français à la Spa

Au meeting international de Spa en Belgique, en Août 1912, cinq trains montés, bien dissemblables des uns des autres, évoluent ensemble dans le ciel de la Sauvenière (Champ de courses). Cinq trains à la fois, avec pilotes à bord, se tiennent en ascension pendant près d’une heure à des hauteurs variant de 60 à 80 mètres. Le spectacle est unique ! magnifique ! et ne s’est jamais revu depuis dans aucun pays du monde.

Départ d’une des automobiles

Départ d’une des automobiles mises à la disposition des concurrents pour joindre l’hippodrome de La Sauvenière, où a lieu le concours, qui est situé à cinq ou six kilomètres de Spa.

La Sauvenière

La Sauvenière : montage des appareils dans les box mis à la disposition des concurrents. Box de l’UCVF.

Concours de Spa

Concours de Spa - Vue de trois trains de cerfs-volants convergeant par suite de courants se rejoignant. - 70 à 80 mètres. Photographie prise le jour du concours monté - 3ème prix pour l’UCVF - Union des Cerfs-volistes de France - à laquelle appartient Félix Peaucou.

Bulletin mensuel intérieur de l’Union des Cerfs-Volantistes

Bulletin mensuel intérieur de l’Union des Cerfs-Volantistes de France, n°8 du 1er février 1914. Fondé en juin 1913, écrit à la main, il est reproduit à l’alcool sur une grande feuille 50x40 cm pliée en huit et imprimée d’un seul côté.

L'Edgar-Quinet

Enfin, dans l’armée, des prouesses furent accomplies avec les cerfs-volants Saconney, tant sur mer que sur terre : sur mer, avec la contribution de l’Edgar-Quinet, qui filait ses 21 nœuds pour suppléer au vent défaillant, ce qui permit de belles ascensions aux officiers supérieurs de la Marine, et celles sur terre atteignant de 200 à 300 mètres d’altitude.

Départ d’une des automobiles

Félix Peaucou, sur l’Edgar-Quinet, en rade de Toulon, en juin 1913.

En mer

En mer.

L’équipe des huit cerfs-volistes

L’équipe des huit cerfs-volistes ayant participé aux manœuvres navales en mai-juin 1913 en Méditerranée sur l’Edgar-Quinet.

Abattage d’un train de cerfs-volants après une série d’ascensions

Abattage d’un train de cerfs-volants après une série d’ascensions.

Article paru dans « La revue du Cerf-Volant publication pratique et technique des Applications scientifiques du Cerf-Volant paraissant chaque mois » de juin 1913 (2e année, n°15) sous le titre : « Les cerfs-volants montés aux manœuvres navales de la Méditerranée »

« Sous la haute direction du capitaine Saconney et le commandement du lieutenant de vaisseau Héritier, un train de cerfs-volants montés a participé avec succès aux manœuvres navales, à bord du croiseur-cuirassé Edgard-Quinet.

Déjà en 1911, une série d'expériences, les premières tentées en France à bord d'un navire, avaient été effectuées par le capitaine Saconney à bord du même croiseur. Des résultats, concluant furent obtenus et l'on poursuit actuellement l'instruction de la première section de marins cerf-volistes. En dehors de ceux-ci qui avaient déjà fait un stage à Versailles, la section de manœuvre comportait un groupe de huit sapeurs cerf-volistes, qui, sous les ordres du lieutenant Chollet, étaient venus spécialement de Belfort.

La première période des manœuvres fut consacrée à la mise au point du train et le dispositif spécial de lancement fut installé sur la plage arrière. Les premières expériences eurent lieu le 23 mai, au mouillage dans le lac de Bizerte, par un vent de 15 à 16 mètres, coupé de rafales de 20. Les lancements réussirent parfaitement et la nacelle lestée à 80 kilos atteignit rapidement l'altitude de 200 mètres, tirée par un seul cerf-volant remorqueur. Plusieurs autres expériences eurent lieu dans les mêmes conditions ; elles furent toutefois limitées par des contre-temps inévitables au cours d'une période de grandes, manœuvres, tels qu'embarquement du charbon, inspection, etc.

Le 27, une conférence sur l'emploi des cerfs-volants dans la marine fut faite par le capitaine Saconney aux officiers de l'escadre. Le 30, eut lieu au large de Porto-Vecchio, où l'escadre était abritée, une reconnaissance par vent de 4 à 5 mètres, le navire avançant à une vitesse de 16 nœuds : tour à tour le capitaine Saconney, le lieutenant Chollet, le vice-amiral Auvert, commandant l'escadre des croiseurs, le contre-amiral Sénés, commandant une division de l'escadre, etc., prirent place dans la nacelle comme observateurs et s'élevèrent à des hauteurs variant de 150 à 200 mètres. Tous, à la descente, se déclarèrent enchantés de leur promenade aérienne.

Les manœuvres furent exécutées avec précision, et rien ne fut laissé au hasard. On ne peut que se féliciter qu'un matériel de cerfs-volants spécialement adaptés à la marine existe à l'heure actuelle en France. On connaît en effet les inconvénients à bord, des ballons captifs, inutilisables en marche ou par vent moyen, et des hydravions, dont le transport est difficile et encombrant, et dont le départ et l'amerrissage sont impossibles par mer clapoteuse. Les cerfs-volants s'imposent donc à bord des éclaireurs d'escadre comme vigies surélevées, mais leur emploi à bord des bâtiments où l'espace est si restreint, présentait de grandes difficultés : on voit d'après le résultat des expériences relatées plus haut, qu'elles ont été heureusement résolues par le capitaine Saconney. Détail intéressant à noter : parmi les huit sapeurs participant aux manœuvres, cinq sont membres de sociétés cerf-volistes : le caporal Papillon et le sapeur Donzella font partie de la L.F.C.V., le sapeur Taté appartient au G.A.P.E., et les sapeurs Dumontet et Peaucou sont membres de l'U.C.V.F.

R. D. »

↩ Sommaire historique des cerfs-volants.