« Rien, ou presque rien, n’a été dit sur le rôle joué et la vie
menée par l’aérostation au cours de l’épouvantable cataclysme
qui a ensanglanté le monde de 1914 à 1918 - et qui allait
se renouveler vingt années plus tard. »
Avertissement tiré des Carnets de Guerre de Félix Peaucou,
ancien aérostier
Première page des carnets de guerre de Félix Peaucou, qu’il tint du 1er août 1914 à sa libération des obligations militaires… en 1919 !
Ballons & Cerfs-volants dans la tourmente Guerre 14 – 18
À la veille de cette première Grande Guerre, où en était l’aéronautique ? A part le ballon libre, qui ne demandait plus rien en matière de perfectionnement, vu son rôle modeste, tous les éléments de l’air étaient en pleine gestation, en pleins tâtonnements, dans une période d’essais constants, mais en même temps sans cesse en progression. C’était ce qu’on appelait « l’Époque héroïque » de l’aéronautique. Tous les appareils aériens, quels qu’ils fussent, étaient plus ou moins vulnérables, n’ayant pas été particulièrement conçus pour être compris parmi les armements alors existants. Science toute nouvelle; création récente, bien peu de personnes en étaient instruites; une faible fraction parmi les civils et une beaucoup plus faible encore chez les militaires. Pour se qualifier réellement dans l’emploi, dans la conduite de tous ces divers engins aériens, il fallait nécessairement passer dans les ateliers de construction & de montage à seule fin d’en connaître toute la structure, tous les éléments infiniment variés qui les constituaient. À défaut de cela, il fallait tout au moins en faire l’étude et, par suite, faire un apprentissage indispensable pour conduire, c’est-à-dire avoir bien en mains, les évolutions de tous ces divers appareils encore incertains et fragiles.
En ce qui concerne les ballons captifs & les cerfs-volants, la manœuvre en était fort délicate. Elle devait être conduite sans erreur, d’une main sûre & non hésitante si l’on ne voulait pas aboutir à de la casse, voire à un désastre.Qu’avions-nous comme ballons captifs militaires en 1914 ? Des ballons sphériques, d’un vieux modèle avec un gréement & une suspension des plus compliqués et qui manquaient totalement de stabilité dès qu’un zéphyr un peu fort sévissait. Dans ces conditions, l’observateur ne pouvait assurer aucun travail utile la plupart du temps. Un deuxième système de ballon avait bien été timidement conçu en petit modèle et faisait l’objet d’essais en qualité d’engin météorologique. C’était le ballon-cerf-volant dit “Drachen”. Mais il n’en existait aucun d’un cubage assez fort pour pouvoir porter des hommes.
En face de nous, en revanche, les Allemands étaient équipés précisément de ces ballons-drachens qui, sans être parfaits - loin de là - étaient néanmoins supérieurs aux nôtres et plus pratiques que nos malheureux ballons sphériques qui, par surcroît, étaient commandés par des treuils à vapeur; des voitures à chevaux constituaient des convois assez archaïques.
Le drachen était un ballon allongé appelé vulgairement “saucisse”. Il était formé d’un long cylindre fermé à chaque extrémité par des calottes demi-sphériques. Un long ballonnet en forme de boudin partait de la partie inférieure et centrale du ballon et contournait une bonne partie de la calotte arrière. Se gonflant d’air automatiquement à l’aide de la buse qui s’ouvrait au vent à sa partie avant, ce ballonnet servait de gouvernail d’orientation que complétaient des ailerons latéraux & une queue de six ou huit petits parachutes disposés en queue de cerf-volant; d’où son nom de ballon-cerf-volant.
Quant aux cerfs-volants, c’était autre chose: nous étions en pleine période expérimentale et nous ne disposions, de ce fait, que d’un matériel restreint. Mais nous étions toutefois beaucoup mieux équipés que les ballons, avec voitures automobiles, outillage complet & bon matériel volant.
Manœuvres d’un petit drachen à la frontière de l’Est en face de Metz, novembre 1913
Le type de cerf-volant adopté par le capitaine Saconney était un cellulaire copié sur l’appareil du capitaine Cody. C’était en réalité un modèle conçu par l’Australien Hargrave. L’appareil comprenait deux corps de cellules auxquelles avaient été adjointes par Cody des ailes dièdres au corps supérieur avant et des ailerons, dièdres également & de mêmes dimensions, sur tous les autres côtés des cellules. Pour la rigidité, ces cellules, ailes & ailerons étaient tendus au moyen de longs & solides bambous, renforcés à leurs extrémités.
La suspension métallique était une merveilleuse conception due au capitaine Saconney. C’était une sorte de trolley en acier comportant deux galets et, entre eux, un frein obtenu par serrage de solides mâchoires de bronze garnies de patins en fibre. Elle pouvait se bloquer automatiquement par le propre poids de la nacelle lestée, ce qui permettait des ascensions dites “au point fixe”. Dans les ascensions effectuées avec appareils remorqueurs, ces derniers commandaient par leur traction le déblocage de la suspension qui, dès lors, à l’aide de ses galets, glissait sur le câble en emportant la nacelle.